Le What's app de la culpabilité

Elle s’appelle Anne-Marie, mais c’est bien plus qu’un prénom : c’est une institution. Une basilique à elle seule, avec vitraux en napperons et encens de soupe aux moules pour faire bisquer les homards. À 89 ans, elle a troqué le sablier contre une horloge parlante : chaque heure, un rappel, chaque jour, un message, chaque mot, un soupir chargé de mémoire affective.

Me voilà donc, exilé volontaire sur une plage méditerranéenne, les pieds dans le sable, les yeux dans l’azur, à scruter le vol des goélands quand... Bing ! – une notification. La sainte mère a parlé.

Merci, Chou, pour les belles photos. Super le coucher de soleil et la mer ! As-tu du soleil ? Ici, il fait assez frisquet, je porte un pull. Aujourd’hui, nous sommes samedi et je passe seule. Et demain, dimanche, pareil, mais c’est pour une bonne cause. Tu as besoin de repos. Je te donne de gros bisous, maman.

Elle répond à mes photos de coucher de soleil comme à une lettre d’adieu : « Il fait frisquet ici, je porte un pull ». La météo devient tragédie. Elle est seule, dit-elle, mais pour une bonne cause. Laquelle ? Mystère. Peut-être un complot contre l’oisiveté. Peut-être le jeûne d’un saint qu’elle a adopté. Peut-être simplement le plaisir d’être seule... pour mieux me le rappeler.

Et puis, la ritournelle finale, comme un petit violon sous la pluie : « Dernière nouvelle, il pleut, il fait gris, 18 degrés. Profite du soleil. » — Traduction libre : *N'oublie pas que je suis là, dans le froid, dans la brume, vêtue d’un pull qui n’a connu aucun rayon de bonheur. Toi, en revanche, tu fais le beau au soleil. Mais je t’aime quand même. Gros bisous, maman.*

Ah, ces mères qui vous poursuivent jusqu'en bord de mer ! Même trempées, elles nous couvrent de soleil — un soleil un peu nuageux, qui donne des coups de soleil à la culpabilité.