Tu m'écriras hein !

Ou comment l’on part en vacances comme d’autres s'envolent vers l'espace

Madame sonne. Madame tonne. Madame tambourine de l'amour inquiet sur les vitres de mon emploi du temps.
« Tu m’appelles quand t’arrives, hein ? Tu m’écris un petit mot, hein ? Sinon je m’inquiète, hein ? »
Le “hein” maternel : instrument de torture moral plus tranchant qu’un rasoir d’Ockham.

Je pars au train.
Trajectoire : Lille → Détente.
Probabilité : Déraillement → Annonce dramatique au journal de 20h.
Ambition secrète : M’écraser sur la Lune ou au pire sur le quai de la gare de Mars ou Saturne, voire Pluton.

Elle croit que je pars pour une mission spatiale. Moi je pars pour respirer sans la douce tenaille de ses appels téléphoniques.
Oh ! Si elle savait combien elle m’agace…
Mais comme dirait le psychanalyste de la gare du leste :

_ Ce n’est peut-être pas de l’amour, c’est une tragédie en un acte. L’acte de naître et celui, long, très long, de s’éloigner sans être foudroyé par la culpabilité.

« Je suis ta mère, c’est pas pour rien ! » qu’elle dit.
Ah non, ce n’est pas pour rien : c’est pour m’enfoncer l’ongle de l’angoisse dans la moelle épinière.
Les examens ? Elle tremblait.
Les vacances ? Elle grelotte.
L’amour maternel est une météo sans saison ni raison.

Si elle s’inquiétait vraiment, elle me foutrait la paix !
Mais non : elle s’ennuie de ses peurs, elle les mâchonne comme un chewing-gum à l’arnica.
Elle me meule, elle m’use, elle m’aspire comme un cyclone sentimental.

Ma psy dit :

_ « On devient adulte quand l’anxiété des parents n'a plus de prise sur vous. »
Mais moi je suis resté branché sur le rivage de l’enfance, les orteils dans les sables mouvants du chantage affectif.

Elle a 89 balais.
Mais alors des balais de sorcière !
Avec lesquels elle vole au-dessus de mes projets pour m’épousseter l’âme à coups de "Tu m’écriras hein ? Tu m’enverra des photos hein ? Tu pensera à moi hein ?"