Paître ou envoyer paître ?

Ma mère ! Prévisible comme l’orage de quatre heures et imprévisible comme la pluie qui s’oublie derrière la montagne. J’allais la voir, ce dimanche midi, lesté de mes vacances comme un scaphandrier descend au fond du chagrin : pieds en plomb, estomac en nœud de marin.

Heureusement, la réception fut aimable, trop aimable, comme ces chiens qui montrent les dents en souriant. Mais sitôt mes paquets posés, Madame (car il faut l’appeler Madame, n’est-ce pas ?) me lâcha sa première bombe : elle venait de congédier son aide ménagère. Motif ? Balais bâclés, chiffons paresseux, et, comble de l’audace, refus d’obéir. Ah ! bon ? Voilà donc la perle ! Oui ! Celle qu’elle m’avait vantée à coups de téléphones en rafale pendant mes jours de farniente. Avant que je parte, mon aide ménagère s'était évaporée au soleil de juillet, Madame,  du coup, me suppliait, me suppliait encore de la prendre à mon service ! Durant mon séjour, elle m’enjoignait encore de répondre à ses prières pour cette sainte aux serpillières. Et me voici revenu : perle perdue, collier cassé, girouette démontée.

Moi, j'avoue je n’aime pas partager les mêmes « services » que Madame ! Car qui dit partage dit ricochet : ses humeurs rebondissent sur moi comme de mauvaises balles de ping-pong, et, pire encore, l’aide ménagère se transformait en reporter de guerre, fourrant son micro et sa caméra dans ma vie privée. Qu’on se le dise : la perle pouvait surtout s'avérer une huître bavarde.

Deuxième nouvelle : Madame s’apprête à signer un pacte pastoral. Non pas avec la paroisse, non un vrai contrat avec un propriétaire de moutons. Les bêtes viendront paître dans le verger, un buffet champêtre payé en herbe ! L’avocat serait au courant et d’accord : bénédiction légale pour bêlements bucoliques. Tant mieux, ma foi ! Et puis pour Madame, cela fera quelques moutons de plus à son service !

Regardez le côté ironique du tableau : d’une main, elle fait venir paître, de l’autre, elle envoie paître. Ah ! ironie de la vie… ou plutôt : quel fromage ! De brebis évidemment !

Mais l'ironie ne s'arrête pas là ! Il y a une cerise sur le méchoui : Par la suite, Madame a voulu virer 25 euros à ma cadette (sacrifice héroïque !), tout en refusant de comprendre que je ne touche plus à son compte bancaire. Elle fulmine, elle insiste, elle cabriole presque sur place mais moi, je dis non. Qu’elle s’adresse à sa personne de confiance ! Moi, je ne touche plus à son blé.
Elle a bien fini par capituler à la longue.

Bref, dans la même semaine, elle aura viré son argent et viré son agent. Ah ! la musique des homonymes : ça sonne comme une valse bancale au bal des brebis.