Les verres de Vermouth
Ma mère, cette chère dame au charme évaporé, affiche un penchant pour la dive bouteille qui rivalise avec son âge canonique. Parmi ses élixirs de prédilection, les verres de vermouth tiennent une place de choix. Que dis-je, moults verres de vermouth ! Un secret qu'elle garde jalousement : elle a du diabète. Chut, ne le répétez pas.
Au premier verre, tout semble aller pour le mieux. Elle se déride, se métamorphose en une créature plus positive, presque pétillante. Mais au troisième verre, avalé avec une rapidité digne d'un Fangio passant les vitesses, la catastrophe s'annonce. La voilà gateuse, réfutant avec véhémence un état qu'elle incarne pourtant avec brio.
Sa transe éthylique, aux teintes presque maléfiques, s'avance alors. "Esprit es-tu là ?" semble susurrer un petit serpent, émissaire d'un Eden oublié, se faufilant avec malice parmi les pierres de notre jardin familial. La boîte de Pandore de sa mémoire s'ouvre en grand, libérant les fantômes de son passé au rythme usé d'un vieux gramophone.
Son grand-père, son instituteur, les souvenirs de toute une vie défilent, telle une parade spectrale prête à s'éteindre. L'excès de vermouth consume notre Traviata, son chant du cygne devenant aussi assourdissant pour les oreilles qu'éreintant pour les nerfs.
"Siffle tes vermouths, la vieille," persiffle le serpent, "mais garde à l'esprit que d’autres vers, bien réels, t'attendent."
Ces verres de vermouth, à la fois source de sa joie et de son fardeau, sont les compagnons constants de sa danse avec les souvenirs, une valse mélancolique avec le temps qui s'égrène inexorablement pour elle, et semble interminable pour nous, témoins désarmés du dernier acte de sa déchéance.
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