L'antimamère

Le boomer et sa mère

Pour Qui Sonne le Glas ?

11h45, ce vendredi 8 décembre, le ciel est si gris que, comme dans la chanson de Brel, un canal pourrait se pendre. Vu l'endroit où je me trouve, il s'agirait plutôt d’un fleuve vaseux appelé l’Escaut. Pourtant, à l’approche des fêtes, l'atmosphère pourrait être plus festive. Voilà que les cloches se mettent à sonner. Elles n’entonnent pas un joyeux "Jingle Bells" mais un "Pour qui sonne le glas". Un enterrement est sans doute en cours dans une des multiples paroisses de la cité des cinq clochers. Pour ma part, ce glas sonne plutôt comme celui de mes espérances, ou plutôt d'un espoir confus. Je retrace le fil de cette semaine maudite.

Mal Tournai

Administration Judiciaire

Mercredi, 14 heures, l'assistante familiale me demande de la joindre. Avec une efficacité remarquable, elle me présente son rapport, dessinant un tableau plus noir que la nuit. Madame, dans une tentative futile de dissimulation, a éparpillé ses factures çà et là. Elle doit la somme colossale de 3 250 € à une architecte, et, dans un élan de désespoir, a dû faire appel à une connaissance versée dans les arcanes du droit pour négocier un étalement de paiement.

Concernant l'alcool, la situation frôle le désastre. Il y a cet amas de cadavres, dont la présence trahit une consommation outrageusement excessive. En résumé, tout baigne dans l'huile bouillante, ou plutôt dans le vin chaud.

Je me retrouve sans autre choix que de contacter son médecin pour solliciter une administration des biens. Après de multiples avertissements, où j'ai vainement tenté de la persuader d'entreprendre elle-même cette démarche ou de modifier son comportement, je dois me rendre à l'évidence : c'est un échec cuisant.

À ma grande surprise, son médecin traitant n'oppose aucune résistance à mon récit accablant. Il va tenter de la convaincre de prendre les choses en main, mais je crains que cette tête de mule ne veuille rien entendre ! En matière d'obstination, elle a dû faire ses classes en Corse.

L'Abîme

"La vieillesse est un naufrage", cette phrase attribuée au général de Gaulle parlant du Maréchal Pétain, que notre auteur aurait lui-même reprise à Châteaubriant, met en lumière des destins moins brillants, plus particulièrement celui-ci qui croise mon chemin, tel un phare aujourd’hui délabré. Cette personne qui a guidé ma vie d’une main manipulatrice de fer dans un gant de velours d’hypocrisie et qui se croit encore en mesure régenter . En réalité, elle s'est lentement mais sûrement enfoncée dans les abîmes de la décrépitude. La boisson, la vieillesse, ou la combinaison des deux, ont accompli leur œuvre dévastatrice.

Mais le pire, avec les neurones, c'est que lorsqu'ils dysfonctionnent, on croit qu'ils fonctionnent encore. Je ne compte plus les naufrageurs, pirates, prédateurs et charognards qui gravitent autour de cet être en perdition. Je vouerais volontiers ces opportunistes aux égéries ou à d'autres supplices. Mais je sais qu'ils s'en sortiront, le regard fier et les poches pleines.

Ce triste sort ne se limite pas à faire une victime, mais engendre également des effets collatéraux. C'est un miroir impuissant, un avertissement solennel : le commencement de ma propre fin. Le pire dans cette histoire, c'est que la victime elle-même a été bourreau en son temps. Je la vois encore se moquer de sa grand-tante, de sa belle-mère, de sa mère. Je la vois encore se lamenter du sort de son grand-père. Aujourd’hui, c’est moi qui enfile l'habit rouge du bourreau, tout en sachant que je marche moi aussi vers mon supplice. C’est juste une question de temps.

L’abîme est au bout du chemin.

La Raclette

En ce soir tombant, moi et Louanne arrivâmes, trouvant Madame en pleine dégustation d'un verre imposant de Ravini, en compagnie de Sandra. Une scène des plus ordinaires, pourtant teintée d'une pointe de tragicomique dans sa banalité.

Pour notre dîner, une raclette était prévue, mais Madame, dans un élan de pragmatisme culinaire, opta pour la cuisson des pommes de terre dans une casserole à pression – un choix aussi pratique que surprenant quand on chemine avec une tribune. Ainsi, je me vis contraint de fouiller dans un sac de pommes de terre, en plein travail de germination et de ramollissement, métaphore un peu trop appropriée, me semblait-il, de l'état des neurones de Madame.

Je m'interrogeais, non sans une pointe d'ironie, sur sa capacité, à présent et à l'avenir, à se débrouiller seule. Sa dépendance grandissante était aussi touchante que désespérément drôle.

Dans ce contexte, aborder le sujet du meuble aux secrets chinois de belles factures relevait de l'ouverture de la boîte de Pandore – une aventure pour laquelle je n'étais pas prêt. Face à sa petite-fille, j'ai préféré m'abstenir de toute confrontation, choisissant la voie de la discrétion et du repli plutôt que celle du conflit. 

Fin d'Un Temps

Allons bon, voilà des chants de Noël ! Même si l'interprète et l'orchestre jouent juste, cela sonne horriblement faux. Cette guimauve de fin d'année n’est pas au diapason de mes sentiments de fin d'un temps.

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