L'antimamère

Le boomer et sa mère

hibiscus

Hibiscus

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Hibiscus

Ma mère et son amour de sa story

« Puis-je solliciter ton aide ? » demande-t-elle. « Cela te prendra un instant, promis. » Chaque fois que ces mots atteignent mon ouïe, mon sang semble se cristalliser. Quelle nouveauté ma mère a-t-elle donc conçue ? Va-t-elle me demander d'irriguer ses massifs de fleurs ou d'effectuer un achat en ligne ? L'effroi s'empare de moi.

« Eh bien, pourrais-tu immortaliser mes fleurs par l'art de la photographie ? » Fatal fut mon consentement ! À peine les clichés entre ses mains grâce à la complicité de WhatsApp, la voilà brûlante d'envie de les diffuser dans le tourbillon infini de sa "story" !
Autrefois, un individu aussi imbibé qu'elle a conçu l'effroyable idée de lui ouvrir un compte Facebook. Depuis lors, elle s'est familiarisée avec les délices numériques des "stories". Le "mur" lui est inconnu, tout comme les publications, mais elle maîtrise parfaitement les vidéos et images éphémères.

Désormais, impossible de poster un iota d'information sur mon "mur" sans craindre l'apparition d'un commentaire, souvent inopportun et décalé, mais bien pire, impossible de partager la moindre image avec elle sans qu’elle n’aboutisse sur sa "story", le tout dégénéré dans la matrice maternelle. Cela crée donc un “effet mère” indéniable !

Un autre inconvénient de cette affaire fut le vol de 1250€, résultat d'une relation nouée sur cette interface trompeuse, brillant comme un miroir aux alouettes virtuelles.

Mais revenons à son péché mignon, sa "story". Au risque de paraître trivial, cela mériterait presque un récit à part entière.

Lorsqu'elle se prépare à publier dans sa "story", le monde retient son souffle. Et la musique ne s'arrête certainement pas, surtout depuis que cette maudite application impose une mélodie par défaut aux images, nous forçant à subir un refrain inepte en boucle en attendant qu'elle déploie l'image accompagnée de cette ritournelle insipide.

L'IA semble se réjouir d'un rire silencieux en lui suggérant invariablement des chansons italiennes, aussi liées à ses photos qu'une sauce béarnaise à une bûche glacée ! Parfois, je crains que les descendants des peuples du Latium ou quelque gang mafieux viennent réclamer réparation pour le préjudice infligé à leur culture !

Et ce manège acoustique et burlesque continue à l'envi jusqu'à la dernière photo. Ainsi, elle vient de superposer l'univers de Star Wars à ses hibiscus ! Et elle rejoue la scène en boucle ! Quel supplice !

« On ne peut même pas écrire », se plaint-elle. Dieu merci ! Que n'ajouterait-elle pas à l'horreur avec sa prose dithyrambique ! Si vous lui envoyez des photos, méfiez-vous ! Madame vit par procuration et utilisera donc vos photos pour les ajouter à sa "story", accompagnées de ces musiques étranges dont elle seule détient le secret.

Coucou Chou! L doit regarder ma story. J'ai beaucoup de succès!
Laissez-moi vous éclairer sur ce langage énigmatique qu'emploie ma mère. L, ce tendre sobriquet désigne sa petite fille, et par 'story', elle fait référence à ce court récit numérique dont elle est si fière.

L'expression de sa popularité est particulièrement délicieuse. Car en réalité, quelle est la mesure de ce succès ? Est-ce la quantité d'émoticônes flamboyants, ces cœurs rouges vifs, ces prières emplies de reconnaissance, ces baisers généreusement distribués, qui font le score ? Ou est-ce l'infini cérémonial de l'envoi des photos, où le monde entier semble suspendu à ses images de fleurs et ses mélodies italiennes mal assorties ? Peut-être que la vérité réside dans son obsession de voir « L » contempler ses exploits virtuels et s'exclamer devant la modernité de sa grand-mère.

Ah, cette fierté qu'elle porte, aussi brillante que le soleil du midi ! Un succès qui, malgré son étrangeté pour certains, est bien réel pour elle. Et bien que ce ne soit qu'un mirage pour moi, je dois admettre que c'est un spectacle aussi fascinant qu'absurde, cette 'story' aux couleurs de l'arc-en-ciel qui prend vie sous les doigts fébriles de ma mère, rythmée par les mélopées transalpines.

Son enthousiasme est-il contagieux ? Je dois avouer qu'il arrive que je sois pris d'une envie irrésistible de sourire, face à cette scène. Après tout, que vaut un succès si on ne peut le partager avec ceux que l'on aime ? Alors oui, chère mère, je regarderai ta 'story', et je rirai, je m'émerveillerai, et peut-être même. Mais ne compte pas sur moi pour que je t'envoie une flopée d'émoticônes, aussi bigarrées que ton univers numérique, j’ai bien trop peur que tu m’assailles de messages. 

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