Ma mère, le charbonnier, et les difficiles nuances du cerveau tricolore

Le patriotisme est cette tendre affection, ce lien invisible qui nous unit à notre terre natale, évoquant une mélodie d'enfance ou le conteur d'une veillée passée. À côté, la foi du charbonnier semble plus complexe. Elle est cette conviction inébranlable, sans justification ni détour. Imaginez donc ma mère, mélangeant ces deux sentiments, hissant son drapeau patriotique avec la passion d’un charbonnier en plein travail.

Cette passion, elle la tient d'un héritage lointain. Son grand-père, soldat de la guerre 14-18, a semé en elle cette flamme. Malgré les récits sombres que ma grand-mère contait, remettre en question cet héritage serait pour ma mère une hérésie. J'ai été témoin, lors d'une mémorable visite au cimetière, d’une chute spectaculaire de ma mère, rendue maladroite par l’excès du repas. Sa chute aurait pu finir en accolade posthume si mon père et moi n'étions pas intervenus.

Le 11 novembre est l'occasion pour ma mère de ressortir son drapeau tricolore. Bien que fané par le temps, il flotte à la fenêtre avec autant de fierté qu'un jeune homme partant à la guerre. Pour un pacifiste convaincu comme moi, c'est comme voir un poisson grimper aux arbres.

Le point d'orgue arriva quand ma cadette, se trouva guidée par une enseignante aussi enflammée que ma mère. L’apprentissage prit des teintes patriotiques : hymnes, chants résistants... Je me remémorais mon propre maître d'école nous alignant chaque 11 novembre, nous saluant respectueusement devant les plaques commémoratives. Mais avait-elle enseigné l'importance de la paix, cette valeur précieuse ? Ma mère, radieuse, louait cette pédagogue, tandis que moi, "l'homme à la mauvaise réputation" façon Brassens, je m'interrogeais sur le sens perdu des pavés de Mai 68.

Et pour couronner le tout, entre deux bulles de champagne, ma mère évoque son école normale, critiquant le port obligatoire de l'uniforme. Dans cette juxtaposition d’opinions, je vois tout le contraste du cerveau tricolore qui aurait tendance à ne pas percevoir certaines nuances. L'ironie de la situation est si délicieuse que je dois m’en pincer le sourire pour vérifier que je ne rêve pas.