L'antimamère

Le boomer et sa mère

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La Mémoire dans l'Picrate

En arrivant ce dimanche midi, je trouvais ma mère affalée dans son lit, après quelques inquiétudes, je constatais qu'en fait elle roupillait. C'est en posant mes paquets de nourriture sur la table que je fus frappé par un bouleversement de son organisation, mais le mot est-il encore adapté ?

Imaginez un champ de bataille où Napoléon aurait confondu ses cartes stratégiques avec une recette de couscous : c'était le chaos total, entre verres abandonnés en plein désert de nappe, bouteilles en ordre de retraite et serviettes à motifs floraux qui semblaient crier à l'aide. La boîte "MÉMOIRES," autrefois fièrement érigée comme un fort imprenable, était désormais un vestige oublié dans un tsunami d'objets divers, des dictionnaires aux cadeaux qui semblaient attendre d'être sauvés par une mission humanitaire.

Si ma mère devait vraiment travailler à ses mémoires, alors la table était sans aucun doute le reflet d'un cerveau en pleine ébullition... ou en grève générale. À ce stade, je ne savais plus si elle écrivait un chef-d'œuvre littéraire ou si elle avait simplement déclaré forfait face à son propre bazar.

Après avoir préparé la soupe et l'avoir invitée à passer à table, quelques vapeurs s’échappant de sa bouche, combinées à un verbe haut qu’elle ne déploie qu’après avoir fait honneur à la dive bouteille, ne me laissèrent plus beaucoup de doutes sur ce qui s’était réellement passé. À l’entendre, pourtant, tout était la faute du chat. "La vilaine bête m’a réveillée à 3 heures du matin, et je n’ai pas réussi à me rendormir", clamait-elle, avec l’aplomb d’une avocate plaidant pour un chat innocent.

Mais soyons honnêtes : je pense que Madame s’est rendu compte qu’elle avait un peu trop poussé les bouchons. Pas ceux du paisible pêcheur, non, mais bien ceux qu’on tire des bouteilles. Et à en juger par le tableau de la table transformée en un champ de tir de bouchons éclatés, il y en avait eu plusieurs.

Et là, surprise ! La voici soudain raisonnable : avec le plat, elle m’a demandé un Coca. Oui, un Coca ! À cet instant précis, j’ai compris que la situation était grave. C’est tellement inhabituel qu’elle devait en tenir une fameuse. De quoi ? Eh bien, disons que je préfère ne pas le préciser. Toujours est-il que la soupe est passée sans trop de heurts, et que le Coca, de son côté, a probablement fait ce qu’il a pu pour remettre de l’ordre dans cet océan de festivités improvisées.

Bref, pour une fois, j'aurais eu ma mère bourrée à l'arrivée et plus sobre à la sortie. D'habitude, c'est l'inverse : elle commence par me recevoir comme une reine de salon, impeccable, puis termine la soirée en chantant des airs, verre à la main, et en déclarant qu'elle va écrire ses mémoires "dès demain matin".

Ici, rien de tout cela. Les mémoires avaient avancé : il y avait une douzaine de fiches griffonnées, presque méthodiquement, comme si un éclair d’inspiration l’avait traversée. Inspiré, moi aussi, j’ai tenté de lui expliquer le fonctionnement du dictaphone flambant neuf que je lui avais offert. Mauvaise idée. Très mauvaise idée. J’ai préféré abandonner. Ces mémoires risquaient de rester lettre morte ou de devenir un effort titanesque et inutile.

Résigné, je me suis fendu d’une nouvelle commande, cette fois-ci pour un enregistreur à cassette, un peu archaïque, certes, mais au moins elle aurait une chance de l’utiliser. En attendant, pour ne pas totalement gaspiller le dictaphone, je lui ai tendu le micro après le repas et lui ai demandé de lire quelques fiches pour faire un essai.

Une fois ce premier "travail" accompli, je rangeai le matériel et nous échangeâmes encore quelques mots. Puis je rentrai chez moi... ou devrais-je dire : je battis prudemment en retraite. À mon départ, elle était installée dans son fauteuil, le chat sur les genoux, un air vaguement raisonnable peint sur son visage.

Et moi, j’étais soulagé. C’est toujours plus facile de partir en laissant une mère qui fait semblant d’être tempérée qu’une qui brandit un tire-bouchon en guise de sceptre !

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