L'antimamère

Le boomer et sa mère

Espèce  d'ectoplasme de chat !

Vendredi, 22 h 30.
Le téléphone sonne. Deuxième appel de ma mère ce soir. Aïe ! Elle m'a déjà appelé tout à l'heure, on s'est dit à demain. Cet appel sent le soufre ou quelque chose de plus âcre encore !
Comme prévu, au bout du fil : sanglots, lamentations, soupirs qui ressemblent à ceux d'un prophète contrarié. Une ambiance Jérémie, version fin du monde en dolby surround façon THX mais avec la sonorité de la dernière trompette jouée au kazoo.
Nelson a disparu ! Oui, comme d'habitude !
Nelson, chat de son état, demi-dieu de la maisonnée, muse aux moustaches vénérables. Notre félin est du genre passe-muraille. Il reste enfermé mais demeure aussi insaisissable qu'une prédiction de la Sibylle de Delphes. Cette fois-ci, le voilà évanoui dans l'air tiède de son intérieur bourgeois. On croirait la mère Michel revue par une troupe tragique de province, avec les meubles pour décor et la détresse maternelle en voix off. Faut-il en rire, en pleurer ou en pleurer de rire ?

Je m'empresse de me vêtir de ma cape de sauveur, ou du moins, de celui qui ne veut pas passer pour un fils ingrat et insensible. Car refuser de bouger serait signer mon arrêt de cœur filial. Et puis, qui sait ? Peut-être Nelson, ce Socrate en pelage court, est-il allé mourir dans un recoin obscur, comme il se doit pour les sages et les chats. Peut-être vais-je devoir lui rendre les derniers hommages ?

Me voici sur les lieux de la disparition, il est 22 h 45.
Ma mère entre en transe vocale. Un mélange de vocalises et de cris à faire pâlir soit un opéra expressionniste soit un maître du chant nô. Je l'invite à se calmer, sous peine d'être aspiré moi-même dans la spirale d'une crise de nerfs. Car si je monte, elle descend, et si elle remonte, la déesse de la moutarde en fait autant dans mon nez.

Je cherche donc Nelson.
Je fouille. Je scrute. Je m'invente détective. Il ne manque que le monocle et un rayon de soleil pour me croire Hercule Poirot. À défaut, je suis juste un homme armé d'une lampe torche et d'un début de sciatique qui recherche ce chat aussi énigmatique que problématique.

Ma mère, dans un souffle dramatique :
— Tu devrais comprendre que je suis triste... Je suis inquiète... Mon chat est peut-être blessé...

J'admire cette propension à la positivité funèbre. Elle érige le catastrophisme en un art de vivre.

Je recoupe les faits : dernière apparition du chat à 19 h 20, miaulant pour son dû. Elle ne lui a rien donné. Peut-être, au fond de moi, une hypothèse surgit : la vengeance du félin. Un refus de croquette mal digéré. Une fugue préméditée, une disparition punitive ?

Je cherche encore. Salon, cuisine, arrière-cuisine. Sous le lit ? Impossible. Mon corps ne répond plus aux injonctions de souplesse. Derrière le fauteuil ? Même combat. Je passe en revue la salle à manger, inspecte chaque coin, chaque nappe, chaque ombre.

Et puis...
Un miaulement.

Le spectre redevient animal. Nelson, tel un esprit de la table tournante, surgit de nulle part, l'œil lustré, la démarche lourde et nonchalante, comme s'il revenait d'un séminaire secret des chats philosophes. Monsieur se dirige négligemment vers sa gamelle, faisant fi des acclamations que ma mère lance vers les cieux.

La récréation est terminée. Je rends les armes. Je peux enfin quitter les lieux, non sans lancer intérieurement quelques imprécations à l'encontre de cette chère mère qui, manifestement, n'a toujours pas compris qu'un chat ne se perd pas : il se dissimule avec panache.

Il y avait la mère Michel. Il y a maintenant la Mère Rivière.
Et dans cette farce domestique, qui donc joue le rôle du dindon du Père Lustucru ?

C'est moi ! Encore une fois ! Qui l'eût cru ?
Espèce d'ectoplasme de chat ! Voilà le juron ad hoc !

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