L'antimamère

Le boomer et sa mère

De l'amertume ..

Il fut un temps où je conduisais ma mère, empreinte d'amertume, au bord de la mer. Elle évoque pour moi un paysage tumultueux, à la fois doux et déchaîné. Une mère aimante, certes, mais dont l'amour, parfois étouffant, entravait ma liberté.

Parmi les silhouettes de mon passé, l'ombre de mon père se dessine, s'évaporant telle une brume matinale. Sa disparition, marquée par un sarcasme déguisé en souhait de "bonne chance", demeure gravée. La douleur, celle d'avoir choisi maman enfant, en serrant mon ours en peluche, s'intensifie à chaque souvenir. Je me rappelle le regard triste et trahi de mon père, me faisant sentir coupable d'un choix que je n'avais pas vraiment fait.

Au crépuscule de sa vie, ma mère s'immergeait dans d'interminables monologues mélancoliques. Ses souvenirs, répétitifs comme les vagues, me submergeaient. Elle avait cette capacité à teinter nos moments de nostalgie d'anciennes blessures, transformant chaque instant en une éternelle rediffusion du passé.

Son insistance sur certains souvenirs, comme sa visite dithyrambique à l’île de Jersey, m'était insupportable. J'étais tiraillé entre le désir d'évasion, de me plonger dans la mer, loin de ce poids familial, et une profonde sympathie pour cette femme qui semblait perdue dans ses propres abysses.

Un jour, autour d'un verre, elle dit dans un élan éthylique : "Je me demande dans quel état est la mer." J'ai eu envie de répliquer avec une pointe d'ironie sur une autre mère, mais je me suis retenu. Chaque vacance ressemblait à une répétition, chaque histoire racontée à un écho d'une autre époque.

Son chagrin pour mon père, malgré leurs discordes passées, m'était énigmatique. Elle oscillait entre amour et dédain, entre regrets et idéalisation.

Face à elle, je ressentais une ambivalence : un mélange d'amour, de compassion, mais aussi de frustration et de ressentiment. Pourquoi était-ce si compliqué ? Cette relation teintée d'amour et de conflit m'empêchait-elle de vivre pleinement mes propres relations ?

Je n'avais pas encore toutes les réponses. J'ai cherché en psychologie, dans la littérature, un éclairage, une compréhension. Je me suis même tourné vers Freud et Jung réunis, espérant trouver un remède à mes tourments œdipiens et à cette source sombre de l’Anima.

Avec le temps, j'ai compris que ce combat n'était pas seulement contre une présence extérieure, mais aussi contre mes propres démons intérieurs. Peur de tout, désir d’agir, besoin d’espace, vie confinée... À chaque étape de ma vie, je me heurtais à ce gardien du seuil qui se plaçait entre moi et mes désirs. J’ai cheminé, mais la route est régulièrement entravée par cette entité ambivalente et ambiguë : Ange et démon, élixir et poison, mère nourricière et engloutissante, feu qui réchauffe et qui consume, pierre de touche et d’achoppement.

J'espère qu'un jour, je pourrai apaiser ce tumulte intérieur, trouver la paix avec mon passé et, surtout, avec moi-même.

Dans d'autres écrits présents sur ce site, j'ai découvert que je ne pouvais ignorer cette réalité. Je me suis alors souvenu des conseils des psychothérapeutes que j'avais rencontrés avant d'être opéré du cœur. Ma mère était revenue à la surface alors que j'aurais pu passer de l'autre côté du seuil. La thérapeute de l'époque m'avait conseillé d'insérer des éléments perturbateurs dans les rituels de ma mère : retarder un repas où elle dominait la conversation ou passer une musique qui ne lui plaisait pas particulièrement. Assez étrangement, quand j'ai consulté ensuite une thérapeute comportementaliste et cognitiviste, elle m'a également conseillé une démarche similaire. Mais laquelle adopter ? Comme l'écriture et la créativité, que Carl Gustav Jung qualifie d'éléments de l'Anima pour un individu de sexe masculin, sont mes atouts, j'ai décidé de les utiliser comme médiateurs. Chaque épisode vécu avec ma mère, qui me met hors de moi mais où je m'efforce de garder mon calme, va donner lieu à des esquisses. Je tente de maîtriser ces démons qui semblaient, jusqu'ici, incontrôlables.

Je ne m'y trompe pas : je vois parfois des signes qui me montrent que je suis sur la bonne voie. Hier, par exemple, ma mère m'a harcelé au téléphone alors que je discutais d'un problème crucial avec mes filles. Elle m'a appelé en plein travail sur ce texte, alors qu'elle ne le fait généralement que le soir.

Je suis convaincu que c'est la mission que je dois accomplir dans ces pages. Je vous invite à me suivre. Cela peut paraître extrêmement personnel, mais j'y vois une dimension universelle, un message qui pourrait concerner chacun. Ce sera à vous d'en juger.

Je remercie au passage les écrivains Jerome K. Jerome, Voltaire, Pierre Desproges, Audiard, Frédéric Dard qui, de temps à autre, inspirent ma plume. Face à cette mer déchaînée, le styles doit emprunter différentes formes pour supporter cette anima animée source d'animosité. Notons que ma mère adore certains de ces auteurs. J'ai donc trouvé savoureux d'assaisonner ces tableaux de notre vie familiale les ingrédients qu'elle chérissait.

À suivre ...

Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

License Creative Common

© Creative Commons Attribution 2023

AI Website Creator